Trouver une ou un partenaire de vie

Les complexités de l’amour et du mariage pour les musulmanes et musulmans d’Asie du Sud immigrés au Canada

Un couple interracial – une Sud-Asiatique et un Canadien blanc – célébrant leur fiançailles

Photo : Razeeb Chowdhury Photography

Rencontrer quelqu’un de spécial et tomber en amour est censé être l’une des périodes les plus excitantes de la vie d’une jeune personne. Mais pour les nouveaux immigrants et nouvelles immigrantes au Canada, il peut être compliqué de développer cette relation amoureuse. Au moment de s’engager avec une ou un partenaire de vie, il est souvent moins question d’amour que de race, de culture, de politique et de foi.

« En se lançant à la recherche d’une ou d’un partenaire, les immigrantes et immigrants se demandent souvent : “Qui me comprendra? Qui m’acceptera? Qui partagera ma vision du monde?” Il ne suffit pas de parcourir une application de rencontres; le bagage culturel joue un rôle dans la prise de décisions très importantes et intimes », explique Tahseen Shams, autrice, sociologue (en anglais) et professeure adjointe en migration internationale et race/ethnicité à l’University of Pennsylvania (en anglais).

Tahseen Shams parle en connaissance de cause lorsqu’il est question de race, d’origine culturelle et de mariage. Sa famille a immigré aux États-Unis depuis le Bangladesh lorsqu’elle était adolescente, dans la période qui a suivi le 11 septembre. Cette Américaine musulmane de l’Asie du Sud est mariée à un Canadien blanc dont la famille a émigré du Royaume-Uni.

« Nous avons maintenant un enfant d’un an qui est Bangladais, Gallois, Anglais, Américain et Canadien. En tant que chercheuse, ces dynamiques interraciales et interconfessionnelles dans ma propre vie m’ont incitée à réfléchir au processus de création de sens et à m’interroger si les immigrantes et immigrants se sentent acceptés ou non. »

couple interracial marchant main dans la main sur un sentier forestier

Si les mariages interraciaux ne sont pas courants parmi les Canadiennes et Canadiens musulmans d’Asie du Sud, ces derniers sont de plus en plus ouverts aux rencontres en dehors de leur groupe racial/ethnique et religieux.

Photo : Razeeb Chowdhury Photography

Race, religion et amour

En 2021, alors professeure adjointe de sociologie à l’University of Toronto, Mme Shams a reçu une subvention Savoir du CRSH pour son projet Race, Religion and Romance : Interracial and Interfaith Dating and Marriage of South Asian Muslim Immigrants in Canada (en anglais). Les Sud-Asiatiques constituent le groupe racisé le plus important au Canada, tandis que les musulmanes et musulmans sont le deuxième groupe religieux le plus important au Canada, derrière les chrétiens. Malgré leur nombre au Canada, les Sud-Asiatiques sont, avec les Chinois, l’un des deux groupes racisés les moins susceptibles de se marier en dehors de leur communauté ethnique et religieuse, et l’intégration conjugale devient encore plus difficile pour les immigrantes et immigrants de l’Asie du Sud en raison de la stigmatisation fondée sur la religion.

Au cours de l’année suivante, Mme Shams et son équipe de recherche ont interrogé 130 participantes et participants canadiens issus de quatre groupes de musulmanes et musulmans d’Asie du Sud : 1) célibataires à la recherche d’une ou d’un partenaire amoureux, 2) vivant actuellement une relation mixte, 3) ayant déjà vécu une relation mixte, 4) parents musulmans d’Asie du Sud ayant de jeunes enfants. Pour comprendre comment les musulmanes et musulmans d’Asie du Sud étaient perçus par les autres en tant que partenaires amoureux, ils ont également interrogé des Canadiennes et Canadiens blancs et noirs non-musulmans. La plupart des entretiens ont été menés dans des zones urbaines et suburbaines de l’Ontario. L’étude a porté sur des musulmanes et musulmans de l’Asie du Sud de première et deuxième génération immigrés au Canada. Bien que Mme Shams soit en train de compiler tous les résultats de l’étude, les premières données publiées (en anglais) montrent que les mariages interraciaux et interconfessionnels sont rares pour les musulmanes et musulmans de l’Asie du Sud immigrés au Canada. Mais ses recherches révèlent bien plus que cela.

« Mes travaux de recherche montrent que la géopolitique mondiale influe sur les aspirations amoureuses des participantes et participants. Ce qui se passe au loin et la façon dont les musulmanes et musulmans d’Asie du Sud sont perçus au Canada sont interprétés dans un prisme racial au moment de choisir une ou un partenaire. La prévalence de l’islamophobie, même dans un Canada multiculturel, signifie que les musulmanes et musulmans sont encore souvent considérés comme des étrangers. La majorité des participantes et participants interrogés admettent qu’il est plus facile de rester au sein de leur propre groupe parce qu’elles ou ils pensent être mieux compris qu’en s’associant à une non-musulmane ou un non-musulman », explique-t-elle.

Décortiquer la recherche

L’étude comporte plusieurs autres conclusions importantes : même si une ou un partenaire non-musulman est prêt à se convertir à l’islam, cela n’est souvent pas suffisant pour envisager le mariage par crainte que la ou le partenaire ne soit pas « assez musulmane ou musulman ». Les relations demeurent une affaire de famille, les mariages arrangés étant encore courants dans la culture musulmane d’Asie du Sud, même pour les musulmanes et musulmans établis au Canada. En raison de problèmes historiques complexes, les musulmanes et musulmans d’Asie du Sud, dont la majorité est sunnite, hésitent encore à s’unir à une autre personne ou à s’associer à une personne d’une autre confession musulmane par crainte de réactions négatives dans leur famille. Et pour que les participantes et participants envisagent de se marier avec une personne d’une autre religion, leur partenaire doit partager les mêmes opinions géopolitiques sur les grandes questions, non seulement dans leur pays d’origine, mais aussi dans d’autres parties du monde comme la Palestine, la Syrie et l’Ukraine.

« Si mes travaux de recherche montrent que les mariages interraciaux restent rares parmi les musulmans et musulmans d’Asie du Sud immigrés au Canada, les rencontres interraciales ne le sont pas autant, en particulier pour les immigrantes et immigrants de la deuxième génération, mais cela dépend du lieu de résidence. Dans la ville multiculturelle de Toronto, où les gens sont plus ouverts, il n’est pas rare que de jeunes musulmanes et musulmans d’Asie du Sud aient des rendez-vous et des relations amoureuses de courte durée avec des non-musulmanes et des non-musulmans. Cette pratique est moins courante dans les quartiers à prédominance blanche, où les immigrantes et immigrants se sentent moins intégrés. Mais lorsqu’il s’agit de se marier, la situation est la même pour les immigrantes et immigrants de la première et de la deuxième génération. Il s’agit moins d’émotions que de compatibilité. »

mariée musulmane d’Asie du Sud dans sa parure nuptiale et ses bijoux

Mariée musulmane d’Asie du Sud lors de son mariage interracial.

Photo : Razeeb Chowdhury Photography

Répercussions sur les politiques : un appel à l’action

Mme Shams admet que ses travaux de recherche ont abouti à des résultats surprenants. « Lorsque j’ai commencé cette recherche, je pensais qu’il y aurait un contraste beaucoup plus important entre les résultats obtenus au Canada et ceux enregistrés précédemment aux États-Unis. Le Canada a la réputation d’être plus multiculturel et moins polarisé politiquement que les États-Unis. J’ai été surprise de constater que les résultats étaient similaires des deux côtés de la frontière. »

Par conséquent, elle estime que les décisionnaires canadiens devraient prêter attention à cette étude. « Bien que les immigrantes et immigrants de l’Asie du Sud constituent la plus grande minorité racisée au Canada, elles ou ils ne se sentent toujours pas complètement acceptés. L’islamophobie est réelle et présente au Canada, non seulement pour les musulmanes et musulmans, mais aussi pour toute personne d’apparence musulmane. Je pense que mes travaux inciteront les décisionnaires à considérer l’intégration des musulmanes et musulmans non seulement comme un geste politique, mais aussi comme un processus continu qui réagit aux développements géopolitiques. »

Mme Shams a maintenant terminé son étude et utilise les résultats pour rédiger son deuxième livre. Elle s’exprime aujourd’hui sur ces sujets en Amérique du Nord, en Europe, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Bien que sa carrière de chercheuse l’ait ramenée aux États-Unis, elle est pour toujours reconnaissante envers le Canada d’avoir soutenu ses travaux novateurs.

« Je pense que le fait que le Canada investisse dans les jeunes chercheuses et chercheurs, comme moi, et que nous ayons la possibilité d’explorer des questions susceptibles d’avoir des répercussions politiques au Canada et dans le monde est incroyable. C’est ce qui permet au Canada de se démarquer dans le paysage de la recherche. »


Vous voulez en savoir plus?

Lisez le premier livre de Tahseen Shams, Here, There and Elsewhere :The Making of Immigrant Identities in a Globalized World (Stanford University Press, 2020). Écoutez (en anglais) un échantillon de conversations avec Tahseen Shams sur les questions de race, de religion et d’islamophobie.