Le poisson qui a tout changé

Une vie dédiée au futur bien-être des poissons d’eau douce

’un poisson doré sur un fond bleu-vert

Zoe Todd, Shortjaw Cisco (séries en cours sur les poissons de l’Alberta), dessin numérique (2021). Collection de l’artiste.

Photo : Zoe Todd

Un souvenir d’enfance profondément ancré dans la mémoire : le moment où un poisson a changé la vie de Zoe Todd.

« Tout le monde a une histoire de poisson, et la mienne remonte à mes cinq ans, au chalet familial sur le petit lac Baptiste, en Alberta », se rappelle Zoe Todd, professoraire associé-e en études autochtones à la Simon Fraser University (en anglais), artiste et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la gouvernance autochtone et l’avenir des poissons d’eau douce. C’est là que sa passion pour le poisson s’éveille, empoignant une canne à pêche flambant neuve fabriquée avec amour par son père pour ses petites mains.

« Tous l’été, je me rendais au quai pour lancer ma ligne. Coup sur coup, elle s’accrochait immanquablement dans les algues, raconte Zoe Todd en riant. Mais un jour, ma persévérance a été récompensée. Un poisson avait mordu à l’hameçon :un énorme brochet! »

Mordus pour la vie

« Ce poisson a excité une passion chez moi! Il m’a fait me demander “Qui habite dans l’eau?”, “Qu’est-ce qu’on y fait?”, “Pourquoi ne peux-je pas voir ce qui est dans l’eau?” Ce sont les mêmes questions qui m’animent aujourd’hui, explique Zoe Todd. Il a été l’appât qui a motivé mon engagement à améliorer le monde et la vie des poissons. »

Personne debout sur un cours d’eau gelé, tenant un omble chevalier

Zoe Todd, titulaire de chaire de recherche du Canada, tenant un omble chevalier confiné aux eaux intérieures, au lac Dennis, Paulatuk (2012).

Photo : Sandra Thrasher

Provenant du peuple métis de la rivière Rouge, Zoe Todd travaille avec une équipe composée de plus d’une douzaine de membres, tant autochtones que non, qui sont étudiantes et étudiants de premier cycle et de cycles supérieurs, leaders communautaires, scientifiques, artistes, autrices et auteurs, journalistes, environnementalistes, membres de la communauté universitaire de toutes les disciplines et partenaires internationaux. Ensemble, elles et ils ont créé l’Institute for Freshwater Fish Futures (en anglais). Le collectif est fondé sur le principe que chaque partie du Canada a ses poissons. Ses recherches, qui se concentrent particulièrement sur les lacs et les rivières des Prairies, explorent le rôle du savoir, des récits, de la science et des lois autochtones dans la protection du poisson hier, aujourd’hui et demain.

« Certaines lois canadiennes sont incompatibles avec l’épanouissement du poisson dans les lacs et les rivières des Prairies. Quand on étudie les lois autochtones, on voit que les poissons et les Premières Nations ont prospéré côte à côte pendant des milliers d’années dans ces mêmes eaux », indique Zoe Todd avant d’ajouter que cette faune aquatique fait partie intégrante de la culture et du bien-être autochtones.

« Il est difficile d’expliquer la sévérité de leur déclin, car celui-ci s’est produit si rapidement que chaque nouvelle génération ne peut pas tout à fait prendre conscience de ce qui a été perdu », poursuit Zoe Todd, qui blâme la baisse de population sur la surpêche, les changements climatiques, le développement urbain et les industries pétrolière, gazière, forestière et minière. « Ce qui est sûr, c’est que si nous ne prenons pas ce déclin au sérieux, l’avenir sera sombre : si le poisson se porte mal dans les eaux dont les humains dépendent, ces derniers ne se porterons pas mieux. Depuis maintenant longtemps, les Premières Nations et les Métis de l’Alberta soulèvent leurs inquiétudes face aux déformités, aux maladies et aux infections du poisson.

Redonner espoir

Zoe Todd et ses collègues adoptent une approche dite « récitaurative » (restor(y)ing en anglais) pour leur recherche, notamment au moyen de leur récent projet qui examine le déclin des populations d’omble à tête plate en Alberta (en anglais), lequel a subi une chute inquiétante de 50 p. 100 au cours des dernières décennies. L’équipe fait appel aux récits, aux savoirs et à la science autochtones de façon créative pour sensibiliser le grand public et renseigner les responsables de l’élaboration des politiques au sujet de la crise qui frappe les bassins hydrologiques du Canada.

« Le travail de l’institut estompe la frontière entre la collecte de données et la mobilisation des connaissances, explique Zoe Todd. Nous passons du temps avec des personnes autochtones et écoutons leurs histoires, puis, avec leur permission, nous partageons clairement cette information avec le grand public à l’aide des outils à notre disposition, comme l’art et les baladodiffusions. Nous voulons que chaque personne au pays puisse imaginer un monde où les ressources halieutiques sont renouvelées. »

Personne consacrée à la recherche accroupie sur des rochers dans un cours d’eau en train d’enregistrer des sons

AM Kanngieser, qui a cofondé l’Institute for Freshwater Fish Futures, enregistrant les sons d’un cours d’eau dans le Pacifique. Sans date.

Photo : AM Kanngieser

Le programme de recherche de la chaire de recherche du Canada de Zoe Todd s’appuie sur le travail de l’Institute for Freshwater Fish Futures en étudiant les façons de protéger le bien-être des poissons et des humains dans les bassins hydrologiques du Canada et du monde au moyen de stratégies autochtones. En somme, Zoe Todd et son équipe de recherche souhaitent trouver de nouvelles façons d’étudier et de soutenir les liens complexes entre la souveraineté autochtone et le bien-être des poissons d’eau douce.

Créer des liens au-delà des continents

Zoe Todd a cofondé l’Institute for Freshwater Fish Futures en 2018 avec AM Kanngieser (en anglais), Janelle Baker (en anglais), Ozayr Saloojee (en anglais), Karen Lutsky (en anglais), Émélie Desrochers-Turgeon (en anglais), Lorelei Hanson (en anglais), entre autres. À l’institut, un bon exemple de projet de mobilisation des connaissances à l’échelle locale et mondiale est la collaboration d’AM Kanngieser avec Mere Nailatikau (en anglais) et d’autres partenaires qui examine le rôle du savoir autochtone dans la réduction des répercussions des catastrophes environnementales et des changements climatiques sur les poissons dans certaines régions du Pacifique. Nommée Oceanic Refractions, leur équipe a récemment présenté une exposition d’art immersif à Berlin que Zoe Todd compte faire venir au Canada dans le cadre du programme de sa chaire de recherche du Canada pour créer des liens avec le savoir local.

« Nous devrions suivre les enseignements des détentrices et détenteurs de savoirs autochtones des autres coins du monde et leur donner l’occasion, selon leurs propres termes, d’utiliser les moyens créatifs comme l’art et la philosophie pour partager leurs récits avec le grand public, explique Zoe Todd. Notre travail crée lentement un espace où avoir des conversations difficiles et imaginer l’avenir des poissons si nous faisons bien les choses. »

Imaginer un monde de gouvernance du poisson

Zoe Todd espère que sa recherche aidera tout le monde, y compris les responsables de l’élaboration des politiques, à considérer les poissons non pas comme des produits, mais comme des membres de leur famille, aptes à donner une leçon importante sur la résilience. Plus précisément, les gouvernements, à l’échelle fédérale et provinciale, devraient mettre les gouvernements et la souveraineté autochtones au centre de la conservation et des marchés du poisson, ainsi que de la protection aires riveraines.

« Nous devons reconnaître que les poissons sont des entités autonomes avec lesquelles les humains établissent des relations respectueuses. Pour citer mon collaborateur David Parent (en anglais), la gouvernance des poissons devrait passer de nos mains à leurs nageoires. »

« Leroy Little Bear (en anglais), leader autochtone, défenseur et chercheur, nous invite à demander au poisson ce qu’il faut faire. J’invite tout le monde à en faire de même. Comme il le dit si bien, les poissons, qui ont trouvé la formule scientifique pour survivre sur Terre pendant un demi-milliard d’années, ont beaucoup à nous apprendre », ajoute Zoe Todd.

« Les poissons ont la réponse, il suffit de les écouter. Voilà ce qui est au cœur de mon travail! »


Pour en savoir plus

Écoutez The Bull Trout Show (en anglais), une série en baladodiffusion qui raconte l’histoire de l’omble à tête plate et des décennies d’efforts pour restaurer cette espèce indigène. Visitez le site de Zoe Todd (en anglais) pour en savoir plus sur son art et sa philosophie critique autochtone du poisson.